Adopter les codes du luxe pour faire de la banque un objet de désir

 

 

Qu’y a-t-il de commun entre une tasse de café, un téléphone portable et un sac de voyage en toile enduite ? Pas grand-chose a priori, si ce n’est que certains industriels ont eu la bonne idée de transformer ces biens de consommation tout à fait banals en produits de luxe. Dans des registres divers, les univers de marque créés par Nespresso, Apple ou Louis Vuitton ont en commun de reprendre à leur compte les codes du luxe pour faire voyager le consommateur et l’emmener au-delà du simple usage d’un produit de grande consommation.

 

Le luxe répond à un besoin fondamental et universel

 

Un produit de luxe se caractérise généralement par son originalité, sa technologie innovante, sa qualité ou sa performance, sa durabilité, sa rareté, mais également par son esthétique et sa capacité à véhiculer une émotion… Il est généralement porteur d’un héritage, d’une tradition, associés à une marque forte capable de traverser les modes et les cycles de consommation. Signe de son intemporalité, le luxe emprunte certains de ses codes aux domaines de la religion ou du mysticisme :

  • Un prophète, fondateur de la marque ou figure iconique choisie pour incarner cette dernière auprès de ses clients,
  • Un lieu emblématique, Terre Promise indissociable de l’épopée de la marque (le garage de la famille Jobs à Los Altos où serait née Apple ou Maranello, berceau de Ferrari),
  • Des cathédrales érigées à la gloire de la marque, généralement des boutiques de type « flagship »,
  • Des grand-messes, fashion week, salons internationaux, organisées pour célébrer le culte de la marque,
  • Des fidèles, ambassadeurs inconditionnels voire fanatiques de la marque…

Dépassée la notion d’ostentation, de bling-bling ou de superflu ; au XXIe siècle, le luxe, ouvre les portes de l’estime de soi, et répond à un besoin de reconnaissance sociale. Par l’acquisition d’un produit de luxe, l’individu signe son appartenance à un groupe privilégié, une tribu ou une caste. Les industriels de la grande consommation ont bien compris ce besoin ; ils ont su décrypter et détourner les codes du luxe pour créer une offre « premium » pour laquelle le consommateur est prêt à débourser deux, trois… cinq fois la valeur d’usage du produit convoité.

Or ce qui vaut pour les biens de consommation courante pourrait tout aussi bien s’appliquer à des industries de service telles que la banque. Dans un contexte de banalisation du service bancaire où la gratuité semble être devenue la norme, les banques traditionnelles n’ont pas d’autre alternative que de se démarquer de la concurrence, d’améliorer la satisfaction de leurs clients afin de les transformer en ambassadeurs ou prescripteurs. Sans cela, elles risquent fort de voir leurs parts de marchés et leur PNB continuer à s’éroder au profit des néobanques, plus promptes à exploiter les potentialités du digital pour proposer au client des services innovants à moindre coût.

 

La banque privée : une industrie de luxe

 

Une partie de la solution se trouve peut-être dans la capacité qu’auront certaines banques à transposer les codes du luxe dans leur univers, de manière à se rendre davantage désirables aux yeux de leurs clients et prospects. La plupart des banques privées le font déjà depuis longtemps : adresses prestigieuses, agences en étage, ambiance feutrée, décoration raffinée, accueil soigné et personnalisé, invitations de certains clients à à des manifestations culturelles, des soirées de prestige ou à de grands événements sportifs « en mode VIP ». Encore faut-il que ces attentions particulières soient en cohérence avec le positionnement choisi par la banque, sa politique de mécénat par exemple, et qu’elles revêtent véritablement un caractère d’exclusivité pour les clients concernés. Le coût qui en résulte peut se justifier s’agissant d’attirer et fidéliser des clients qui génèrent chacun annuellement plusieurs dizaines de milliers d’euros de PNB (contre moins de deux cents euros en moyenne pour les clients des néobanques).

Mais attention, tout miser sur le décorum serait une grave erreur ! Une stratégie « premium » repose en premier lieu sur un service irréprochable dans tous les aspects de la relation client : entrée en relation, accessibilité, réactivité aux sollicitations du client, proactivité commerciale, qualité du conseil, information, reporting de gestion… La promesse doit être tenue en toute circonstance et sur l’ensemble de la prestation assurée par la banque et ses éventuels partenaires.

 

Les codes du luxe sont transposables à l’univers de la banque de détail

 

Mais ce qui est fait pour la clientèle des « ultra-high net-worth individuals » pourrait également être transposé à l’univers de la banque de détail. Au nom de quoi une agence bancaire devrait-elle être un espace austère où le conseiller reçoit ses clients dans un box exigu à l’éclairage blafard, avec pour seule décoration les affichettes de la dernière campagne crédit conso ? La plupart des banques ont bien compris que pour enrayer la baisse inexorable de la fréquentation des agences, il fallait imaginer de nouveaux formats de points de vente, plus conviviaux, plus cosy, dans lesquels les clients auront plaisir à se rendre.

Développer un positionnement « premium », c’est repenser l’aménagement, la décoration, les ambiances lumineuses, sonores, olfactives, inviter le client au voyage en faisant appel aux registres du sensoriel, de l’imaginaire et de l’émotion. C’est aussi mettre en cohérence l’ensemble des éléments visibles du client : aménagement et signalétique des agences, campagnes marketing, look & feel des applications de banque en ligne, supports adressés aux clients, à commencer par les courriers et les moyens de paiement mis à leur disposition… L’approche et les moyens engagés doivent bien évidemment être différenciés et proportionnés en fonction du segment (et donc de la valeur) client que l’on cherche à adresser.

Tout le défi consiste à s’inscrire dans une démarche rationnelle et industrielle tout en donnant au client un sentiment d’exclusivité et en fournissant une prestation « haut de gamme » : rapidité et pertinence des réponses apportées au client, capacité à faire preuve de proactivité commerciale à bon escient, personnalisation des messages et des sollicitations…

Cela suppose que les standards de qualité aient été établis en amont, et qu’ils soient connus et respectés par tous. Or plus les réseaux sont vastes, plus les conseillers sont nombreux et plus il est difficile d’assurer cette homogénéité. La maîtrise du Big Data et de l’Intelligence Artificielle apparait de plus en plus comme une condition essentielle pour piloter efficacement la relation client sur l’ensemble des canaux, physiques ou digitaux, en s’adaptant à ses besoins et ses préférences.

En tout état de cause, devenir une « banque premium » est une aventure au long cours qui impose de revisiter de nombreux éléments constitutifs de l’offre, du modèle opérationnel, des processus et du système d’information de la banque. Mais dans un contexte d’ubérisation et de déconstruction de la chaîne de valeur bancaire, avec l’émergence de Fintechs qui viennent jouer les trublions et s’immiscer dans la relation entre les établissements bancaires et leurs clients, face aux velléités de certains GAFAs de se faire une place dans l’univers des services financiers, la montée en gamme peut s’avérer une stratégie gagnante pour des banques soucieuses de développer leur attractivité et de pouvoir continuer à tarifer leurs services de manière satisfaisante.

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