Bâle IV : un nouveau tour de vis prudentiel

 

CRR3 marque un nouveau chapitre dans la réglementation financière européenne

 

La troisième révision de la « Capital Requirements Regulation » (CRR3), qui va rentrer en application début 2025, représente une évolution majeure de la réglementation bancaire européenne. Elaborée par la Commission et récemment adoptée par le Parlement Européen en réponse aux réformes internationales menées par le Comité de Bâle, CRR3 vise à renforcer la résilience et la stabilité du secteur bancaire.

La « Capital Requirement Regulation » a été initiée en 2013. Dès 2019, CRR2 a apporté des ajustements en réponse aux leçons tirées de la crise financière de 2008. La réforme CRR3 (aussi appelée « Bâle IV »), s’inscrit dans la continuité des Accords de Bâle III ; elle établit un ensemble de règles visant notamment à améliorer la comparabilité des ratios prudentiels entre les banques et à prévenir les éventuelles dérives qui pourraient résulter de l’utilisation de modèles internes jugés parfois « agressifs »

CRR3 a pour objectifs de :

  • Renforcer la résilience des banques face aux chocs économiques en augmentant les exigences en matière de capital (amélioration du niveau et de la qualité des fonds propres)
  • Harmoniser les réglementations internationales tout en veillant à ce que les banques européennes restent compétitives,
  • Prendre en compte les risques émergents, tels que les risques climatiques et les risques cyber, qui n’étaient pas véritablement couverts par les cadres réglementaires précédents.

 

CRR3 vient alourdir les besoins en fonds propres pour la plupart des banques

 

Différents mécanismes ont été mis en place qui concourent tous à renforcer le niveau des fonds propres réglementaires requis

 

Les Input Floors : une limite à l’optimisation par les modèles internes

Quelle que soit la qualité des risques souscrits, les probabilités de défaut (PD) et le niveau des pertes en cas de défaut (LGD) modélisées par les banques sur la base de leurs données historiques ne pourront être inférieurs à certains seuils (“input floors”) qui dépendent notamment de la nature du débiteur et du type de collatéral qui garantit chaque exposition.

 

L’interdiction des modèles internes de LGD pour certaines classes d’actifs

CRR3 impose désormais aux banques l’utilisation de LGD réglementaires (approche IRB-Fondation) pour les très grandes entreprises (chiffre d’affaires supérieur à 500 millions d’euros) et les institutions financières ; or ces clientèles « peu risquées » bénéficiaient généralement de RWA très favorables en approche IRB-Avancée

 

L’Output Floor : un vecteur d’harmonisation entre les banques

L’une des réformes les plus discutées de CRR3 est l’introduction de l’Output Floor. Selon les nouvelles règles, les RWA totaux de la banque, calculés à l’aide de modèles internes, ne peuvent pas être inférieurs à 72,5 % des RWA calculés selon l’approche standardisée. Cette mesure vise à réduire les écarts excessifs entre les banques utilisant des modèles internes, augmentant ainsi la comparabilité entre établissements et la transparence.

 

Quelques mesures « bénéfiques » ont été malgré tout introduites ou reprises de Bâle III

 

Parmi les rares mesures qui permettent d’atténuer la hausse des RWA sous CRR3, on notera notamment la disparition du Scaling Factor qui majorait les RWA de 6% en IRB sous CRR2, mais également le maintien du Supporting Factor qui avait été supprimé en norme B3F (Bâle III Finalisée). Le Supporting Factor encourage les banques à continuer de financer les PME, qui constituent un secteur clé de l’économie européenne. Toutefois, si les prêts aux PME offrent des opportunités de croissance pour les banques, ils présentent également des risques accrus qu’elles doivent gérer avec prudence.

 

Des impacts majeurs, au-delà du seul risque de crédit…

 

Mais au-delà de la hausse attendue des RWA sur le risque de crédit ou de contrepartie, les effets induits par CRR3 sont également très sensibles pour les autres types de risques, et notamment :

  • Le risque de marchés avec la mise en œuvre de FRTB qui va se traduire par de fortes hausses de RWA sur certaines activités, en particulier les Dérivés et les Prêts-Emprunts de titres
  • Le risque opérationnel, avec des RWA qui sont désormais, sous CRR3, très directement corrélés avec le PNB de la banque, et non plus avec le niveau de pertes historiques.

 

Au final, les conséquences sont potentiellement lourdes pour les banques européennes

 

La nécessité de renforcer les fonds propres

Avec CRR3, les banques devront maintenir un niveau plus élevé de capital de haute qualité, principalement constitué de « Common Equity Tier 1 » (CET1). Avec des mécanismes tels que l’IRB Shortfall ou encore le Backstop (pour les expositions en défaut) qui imposent d’opérer des déductions directes au niveau des fonds propres, de nombreuses banques (en particulier celles qui utilisent largement les modèles internes) vont certainement devoir augmenter le niveau de leurs provisions pour risques et revoir leur structure de capital en émettant de nouvelles actions ou en limitant la distribution de dividendes sur les prochaines années.

 

Une pression accrue sur la rentabilité

L’augmentation des exigences en fonds propres pourrait mettre une pression supplémentaire sur la rentabilité des banques, en particulier dans un environnement de taux d’intérêt bas où les marges sont déjà sous pression.

 

Des réorientations stratégiques à prévoir

Que ce soit pour limiter les RWA ou pour réduire leur exposition aux industries à forte intensité de carbone, certaines banques pourraient être contraintes de réviser leur stratégie de pricing, leur appétence au risque, voire renoncer à se développer sur certains métiers, certains segments de clientèle ou certaines zones géographiques pour se recentrer sur les activités les moins exposées et les plus rentables.

 

De possibles distorsions de concurrence au plan international

CRR3, en alignant les règles européennes sur les normes internationales, vise à maintenir la compétitivité des banques européennes. Cependant, l’augmentation des exigences en capital et en liquidité pourrait mettre les banques européennes en difficulté par rapport à leurs concurrents non européens. En effet, le cadre normatif qui sera imposé aux banques américaines pourrait sur certains aspects s’avérer moins contraignant que la norme européenne, notamment si les élections présidentielles de 2024 relancent la politique protectionniste prônée par Donald Trump. En fonction des positions rigoristes que pourraient adopter les superviseurs les banques européennes pourraient se voir lourdement pénalisées, voire sorties du jeu sur certains métiers (comme par exemple, les cautions à moyen et long terme que l’ACPR semble considérer comme devant être exclues du périmètre du Trade Finance, ce qui multiplierait par 2,5 les exigences en fonds propres sur ces produits).

 

Un facteur d’accélération de la consolidation du secteur

La mise en conformité avec CRR3 pourrait également favoriser la consolidation du secteur bancaire. Certaines banques de taille moyenne risquent d’avoir des difficultés à réaliser les investissements nécessaires pour adapter leurs systèmes et leurs processus internes, ou d’être incapables de faire face à l’accroissement des besoins en fonds propres. Cette consolidation pourrait mener à la formation de banques plus grandes, mais elle pourrait également réduire la diversité et la compétitivité au sein du secteur.

 

En conclusion…

 

CRR3 représente donc un tournant majeur dans la réglementation bancaire européenne. Ses réformes visent à renforcer la résilience du secteur bancaire tout en encourageant une meilleure gestion des risques émergents. Bien que ces changements puissent imposer des coûts supplémentaires aux banques, ils offrent également des opportunités pour renforcer la transparence, la compétitivité et l’innovation. Les banques européennes doivent donc s’adapter rapidement à ce nouveau cadre et en profiter pour « se réinventer » afin de continuer à prospérer dans un environnement toujours plus complexe et réglementé.

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