Le marché des cryptos : une opportunité pour les banques ?

crypto coins

 

 

Il peut paraitre délicat en pleine tempête sur les valeurs des cryptos d’analyser le phénomène sans tomber dans le commentaire à chaud sur l’inévitabilité du krach ou le danger des mécanismes d’apprentis-sorciers mis en œuvre sur certains soi-disant « stablecoins ». Comment expliquer la folie spéculative qui entraîne des millions d’investisseurs dans un marché ésotérique qui ne devait concerner au départ que quelques milliers de « geeks » issus de la sphère la plus technique de l’industrie du numérique ? Les commentaires abondent sur ces sujets ; inutile d’en rajouter. Rappeler en revanche la genèse des crypto-monnaies, en comprendre les limites, et autopsier certaines des applications qui ont pu émerger et pourraient subsister après l’apaisement de la fièvre actuelle est salutaire pour appréhender les conséquences à en tirer pour les banques.

 

Les crypto-monnaies, enfants terribles de la technologie

 

Pas de crypto-monnaies sans blockchain… car c’est d’abord la technologie qui a créé les crypto-monnaies. La blockchain est la réponse technique à l’idée de s’affranchir d’un système de contrôle centralisé (bourse, banque, banque centrale), a priori nécessaire pour reconnaître la propriété d’un actif financier. Le principe de la blockchain est de sécuriser une information sensible, par exemple une chaîne de transactions, en s’appuyant sur un réseau de valideurs qui possèdent chacun une version de cette information. En effet s’il semble toujours possible de pirater un registre central, il apparait quasiment impossible de pirater simultanément un grand nombre de systèmes informatiques qui contiendraient chacun une copie de ce registre. La crypto-monnaie est au départ une simple monnaie d’échange que perçoivent les participants à ce techno-système pour leur service de validation de l’intégrité de l’information. Payer ces services en monnaie normale supposerait d’en faire supporter le coût par les utilisateurs de la blockchain, ce qui rendrait le système peu attractif. On a donc créé une monnaie nouvelle que les valideurs qui opèrent de nombreux services numériques les uns pour les autres auront tôt fait de s’échanger au sein de la communauté des prestataires techniques de l’industrie numérique. C’est ainsi qu’une monnaie de troc de services numériques est apparue dans des communautés de « geeks » : le Bitcoin.

Assez vite, certains acteurs ont opéré la convertibilité du Bitcoin en dollar, service pratique pour les acteurs de la communauté numérique.  Le Bitcoin a ainsi commencé à être accepté comme moyen de paiement en dehors du monde numérique. L’histoire retient ainsi cette anecdote savoureuse : le premier échange avec l’économie réelle, en 2010, a été l’achat de deux pizzas pour 10.000 Bitcoins, soit au cours actuel… plusieurs dizaines de millions d’euros ! Ah, si l’on avait su…

A la suite du Bitcoin, de nombreux projets de services numériques se sont développés avec la technologie blockchain en reprenant l’idée d’une crypto-monnaie. Le nombre de crypto-monnaies a explosé avec tous les phénomènes qui accompagnent les ruées vers l’or : des opportunités sérieuses, mais aussi une face plus sombre dont on voit aujourd’hui les effets pervers.

 

Le côté obscur : argent sale, spéculation et pyramides de Ponzi…

 

Le Bitcoin est rapidement devenu la monnaie par excellence des échanges gris, voire peu avouables, en-dehors de toute traçabilité… Logique, compte tenu de la nature même du projet, s’affranchir de toute centralisation et donc de toute capacité de contrôle. Mais cela a naturellement conduit, bien qu’avec retard, à une régulation des services autour des crypto-monnaies. Ainsi en Europe depuis 2020 les crypto-monnaies entrent dans le cadre de la réglementation sur les Prestataires de Services sur Actifs Numériques (PSAN) ou encore la loi PACTE2 sur le blanchiment des capitaux. Mais c’est avec MICA (Market In Crypto Assets) que le régulateur espère apporter des réponses et garanties aux risques majeurs identifiés : la protection des investisseurs, les statuts autorisés, la traçabilité, l’impact écologique des systèmes de validation y sont abordés…

Le développement des usages « gris » a naturellement fait monter la valeur des crypto-monnaies, et ce dans des proportions tout à fait atypiques. La hausse des cours a peu à peu attiré des investisseurs de toute nature. D’abord ceux qui comprenaient les enjeux de cette économie numérique, puis peu à peu le grand public, qui y voyait un type d’actif diversifié offrant de copieux rendements. Tout était en place pour que l’imagination financière redouble d’audace pour attirer des capitaux massifs dans ce nouvel eldorado. On a par exemple créé des actifs dont la parité avec le dollar est censée être fixe, les fameux « stablecoins », sans toujours les garantir par un compte équivalent en dollars. Puis, pour inciter les investisseurs à garder leurs crypto-monnaies, on a promis, sur certaines monnaies nouvelles, de rémunérer ceux qui conservaient leurs cryptoactifs au-delà d’une durée prédéfinie… De quoi attirer les plus sceptiques !

Deux chiffres résument bien l’engouement inédit et irrationnel pour ces nouveaux actifs : la valorisation totale des crypto-monnaies est passée de zéro à la capitalisation du CAC40 en à peine 12 ans, et on compte début 2022 plus de 300 millions d’investisseurs dans le monde sur le marché de la blockchain. Un marché dont même les financiers les plus aguerris ont du mal à analyser précisément le besoin économique sous-jacent… Signe d’une spéculation mal contrôlée, on parlait ces derniers temps « d’arbre à billets », mais aussi de pyramide de Ponzi, qu’on ne détecte, rappelons-le, que lorsque l’afflux de nouveaux investisseurs se tarit. Avis de tempête en vue…

 

Une lueur dans la nuit…

 

Chercher à prédire l’avenir des crypto-monnaies au beau milieu de l’orage serait vain. En revanche il est utile de sonder les pistes que les cryptoactifs ont ouvertes et qui pourraient, au-delà de la période spéculative, conserver un intérêt à l’avenir.

D’abord, comme c’était leur vocation d’origine, les crypto-monnaies ont servi à développer de nouveaux projets entrepreneuriaux de services numériques. C’est par exemple le cas d’Ethereum, une plateforme open source décentralisée de vérification de transactions, qui propose aux développeurs du numérique un ensemble de services autour de la technologie blockchain pour opérer leurs activités : smart contracts, decentralized finance, actifs numériques … L’Ether, la crypto-monnaie d’Ethereum, permet ainsi de payer les services numériques utilisés par les développeurs. Dans ce type de schéma, la crypto-monnaie n’est pas uniquement un mode de rémunération des valideurs, mais elle donne accès à tout un écosystème de services, rendant sa valeur moins virtuelle et fondée sur des besoins économiques tout à fait réels. Certaines start-ups créent ainsi à leur lancement leur propre crypto-monnaie comme moyen de lever des fonds : les investisseurs qui souscrivent au projet achètent à travers la crypto-monnaie des droits d’utilisation du futur service procurant à l’entreprise un mode de funding alternatif au venture capital classique.

Ensuite la blockchain a été adoptée par un certain nombre de banques centrales qui y voient une solution d’avenir permettant de traiter les transactions financières sans dépendre des systèmes de compensation centralisés. Ainsi la Banque de France expérimente une monnaie numérique (MNBC) pour les règlements interbancaires, tandis que des études sont menées aux Etats-Unis pour le développement du dollar numérique. L’e-yuan a aussi fait parler de lui pendant les Jeux Olympiques de Pékin. Même si l’on est loin d’une généralisation des usages de monnaies numériques des banques centrales, ce développement donne une visibilité institutionnelle rassurante pour l’avenir de la technologie blockchain. Peut-être le prélude à une réglementation généralisée des crypto-monnaies, si longtemps ignorées par les banques centrales, pour le plus grand bénéfice des investisseurs.

Enfin un autre usage notable est apparu dans le sillage des crypto-monnaies : le morcellement d’actifs qui exploite la souplesse juridique de la blockchain. L’idée est d’offrir la possibilité d’investir en parts fractionnaires sur des actifs (immobilier, grands vins, œuvres d’art, voitures de collection …) qui ne sont normalement accessibles qu’à des investisseurs capables d’apporter une grosse mise de fonds ou via des structures coûteuses et peu liquides comme les SCPI. Si la technologie permet potentiellement de réduire les frais associés à la structuration juridique, à la conservation de ces actifs et de fluidifier les transactions, il reste que la liquidité réelle d’un actif dépend aussi de l’intensité de la demande. Il faudra sans doute attendre de voir se stabiliser les marchés des cryptoactifs pour évaluer le potentiel réel des produits de morcellement d’actifs.

 

Conclusion : une opportunité pour les banques ?

 

Si les banques européennes se sont montrées plutôt méfiantes vis-à-vis des crypto-monnaies, elles n’ont pu ignorer la demande exprimée par leurs clients de pouvoir investir dans ces actifs au titre de leur diversification. Nul doute que les investissements dans des crypto-monnaies pour les projets qui ont un sens économique, même en dehors de toute spéculation, nécessiteront le conseil d’experts. Tout comme les autres classes d’actifs, il s’agit avant tout de savoir évaluer les risques, de comprendre le sous-jacent économique et d’apprécier la nature et la pertinence de la diversification apportée. Après la crise des subprimes, les investisseurs ont mis quelques années avant de revenir sur les actifs de titrisation, dont l’intérêt n’était finalement pas mis en cause. Mais l’implication des banques dans la formation de la bulle spéculative a sans doute pesé lourd dans la méfiance du marché. Espérons cette fois que la prudence des banques pourra ouvrir la voie, une fois la tempête passée et l’écosystème des crypto-monnaies assaini, à la création de services d’investissement autour des cryptoactifs pertinents pour les investisseurs et créateurs de valeur pour les institutions financières.

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