Savoir gérer les crédits en défaut : un enjeu crucial pour les banques

 

 

La gestion des crédits en défaut est un sujet qui va malheureusement être d’une actualité brûlante pour les banques dans les prochains trimestres. Les crédits en défaut, également appelés « non-performing loans » ou « NPL » dans le jargon bancaire, sont en effet l’une des principales causes de perte de valeur des banques lors des crises économiques et financières. Lors de chaque crise, les niveaux de provisions passés par les banques pour le risque de crédit montent à des niveaux élevés pendant généralement deux ou trois années, le temps que les activités des clients en défaut se restructurent et qu’une activité économique normale reprenne. Sur longue durée, on peut considérer que c’est le prix à payer pour un métier dont l’essence est de prendre du risque, et dont le coût en période de crise est normalement largement compensé par les gains réalisés dans les bonnes années du cycle économique. Pour préciser les enjeux, on estime sur la base de l’expérience des crises passées que le coût du risque moyen additionnel lié à une crise est de l’ordre de 100 points de base des actifs de crédit, soit en moyenne pour les 4 grandes banques françaises l’équivalent du résultat net réalisé sur l’année 2019. Cet enjeu justifie bien, s’il le fallait, que le management des banques y accorde une importance particulière.

 

Or l’expérience montre que les niveaux de perte varient significativement d’une banque à une autre et au sein d’un groupe bancaire d’un métier à l’autre. Ces différences sont bien entendu d’abord le fait de niveaux de risques variables (le crédit consommation est généralement plus risqué que le crédit immobilier) ou d’expositions sectorielles différenciées. Mais l’expérience de la crise des subprimes a montré que les banques avaient des leviers permettant de réduire significativement ces impacts (cantonnement, cessions d’actifs, adaptation de la politique de risque…). In fine, les impacts de la crise pour les banques dépendront donc aussi de leur capacité à prendre des mesures adéquates pour gérer au mieux la vague de crédits en défaut qui s’annonce. L’impact des crédits en défaut est donc tout sauf une fatalité.

 

La question est d’autant plus cruciale que la crise du COVID est singulière par l’ampleur de la récession qu’elle a entraînée, son caractère mondial et les impacts psychologiques et sociaux durables qu’elle aura, avec un temps de retour à la normale qui reste à ce stade un grand facteur d’incertitude. Si la création monétaire et les aides publiques ont réussi transitoirement à en différer ou atténuer les effets, la crise sera, on le sait déjà, particulièrement dure pour les entreprises, avec des impacts économiques affectant de nombreux secteurs. C’est donc la plupart des activités bancaires qui seront touchées, la banque de gros bien sûr, mais aussi la banque de détail impactée par les défauts des PME, les financements spécialisés comme le leasing, sans compter le risque de choc induit sur des activités comme l’immobilier ou sur les défauts des particuliers, encore très incertains à ce stade. Si personne n’est capable de prévoir précisément l’intensité et la durée réelles de la crise, une certitude s’impose déjà aux équipes dirigeantes des banques : l’un des facteurs clé de leur performance à travers la crise sera leur capacité à minimiser les impacts des crédits en défauts.

 

Dans ce contexte, les banques doivent rapidement s’organiser pour traiter au mieux la vague de défauts et de restructurations à venir. Pour cela, cinq grands leviers doivent être considérés :

  • Savoir détecter les actifs problématiques : que ce soit par l’analyse sectorielle, par l’exploitation de sources externes comme les agences de rating ou par la remontée d’informations des emprunteurs eux-mêmes, la détection au plus tôt des problèmes est critique pour prendre au plus vite les mesures adaptées ;
  • Gérer proactivement le portefeuille de crédits en défaut : comme tout portefeuille bancaire, la capacité à connaître ses expositions, à apprécier leur cessibilité et à en piloter l’évolution permet de décider des réductions ciblées d’expositions (parfois appelé « derisking »), par exemple par des cessions, des opérations de transferts de risques ou l’utilisation de couvertures ;
  • Piloter l’impact économique et financier des NPL : il s’agit de piloter à la fois l’impact courant en résultat, dans le respect des règles prudentielles en vigueur, mais aussi de piloter stratégiquement l’impact économique des NPL dans le temps à travers une vision prospective de l’évolution du portefeuille de crédits ;
  • Optimiser la gestion du recouvrement et des restructurations : le dispositif de gestion du recouvrement nécessairement sollicité en période de crise doit être ajusté et ses ressources utilisées de la manière la plus adaptée afin de maximiser son impact ;
  • Adapter la prise de risque au contexte de crise : l’évolution de la crise, par nature peu prévisible, nécessite de revoir régulièrement la politique de risque par secteur, produits ou pays, avec le souci de gérer au mieux les crédits en défaut, tout en conservant une activité nouvelle ciblée dans des secteurs sains délaissés par la concurrence.

 

Si aucun de ces leviers n’est à négliger, il est important pour chaque institution d’identifier très tôt les zones dans lesquelles elle a d’importantes marges d’amélioration, et ce d’autant plus que les modes de fonctionnement qui prévalent en temps normal sur certains processus (ex : recouvrement, provisions…) doivent être revus en période de crise pour s’adapter à une volumétrie beaucoup plus importante. L’enjeu de porter très tôt un tel diagnostic est d’abord la maîtrise des résultats des prochaines années avec, autant que possible, la réduction des impacts des NPL. Il s’agit aussi de mobiliser rapidement l’ensemble de l’organisation autour des enjeux des crédits en défaut (fonctions Risques, Finance, Front Office, Portfolio Management, Opérations…). Il s’agit enfin d’être capable de bien répondre à la demande réglementaire d’un pilotage efficace des NPL, avec des impacts potentiels sur les besoins en capital pour les banques qui seraient jugés à un niveau insuffisant.

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