Le véhicule autonome : un nouveau virage à prendre pour les assureurs

 

 

Nous sommes à la veille d’une révolution dans le secteur automobile, avec l’arrivée certaine (et plus rapide qu’on ne le pense) de la voiture autonome. Les constructeurs automobiles annoncent une diffusion auprès du grand public dès le début des années 2020, et ces modèles représenteraient près de 30% de la production mondiale en 2035. D’ailleurs en France nous devrions disposer dès 2019 d’un cadre législatif nous permettant de rouler sur la voie publique avec une voiture autonome de niveau 4.

 

Classification des véhicules autonomes

Niveau 1 Premières aides à la conduite Présence de quelques options améliorant l’expérience de conduite : régulateur de vitesse adaptatif, détection d’angle mort, alerte au franchissement de file, etc. Existence d’un certain nombre d’options de ce genre dès les années 90.
Niveau 2 Conduite partagée Capacité de la machine à remplacer l’automobiliste dans certaines situations : park assist, système de freinage d’urgence, alertes en cas d’endormissement ou de malaise chez le conducteur, etc. Le conducteur doit en revanche être capable de reprendre le contrôle à tout moment Apparition dès les années 2000 sur les véhicules haut de gamme. Aujourd’hui, de nombreuses marques proposent ce genre d’options sur leurs véhicules
Niveau 3 Conduite autonome limitée Certaines phases de conduite peuvent être totalement déléguées par le conducteur (autoroute, bouchons, manœuvres de stationnement), mais le conducteur doit pouvoir intervenir en cas de besoin. Tesla offre aujourd’hui ce niveau d’autonomie, tandis qu’Audi le teste sur sa voiture phare (A8), mais il faut noter que la législation restreint l’usage de la conduite autonome.
Niveau 4 Conduite autonome élargie Reprise des grands principes du niveau 3, avec une principale différence : le conducteur a le droit de ne pas être concentré sur la route. Sa présence est cependant nécessaire afin d’amener la voiture sur les phases où la conduite est déléguée. En attendant l’évolution de la législation, Tesla annonce le lancement d’une voiture autonome de niveau 4 dès 2018, tandis qu’Audi met au point un modèle pour 2020. Un concept car Renault, le Symbioz, a été présenté au salon automobile de Francfort de 2017, capable d’effectuer des trajets complets sur autoroute, changer de file, franchir des barrières de péage, sans aucune intervention humaine.
Niveau 5 Conduite autonome totale Véhicules entièrement automatisés, ne nécessitant aucune action humaine, quelle que soit la phase de conduite Toyota réfléchit à la mise en place de navettes autonomes pour les JO de Tokyo. Des expérimentations ont lieu depuis de nombreuses années chez Uber, Google et Tesla. Selon la plupart des constructeurs, ces véhicules seront mis sur le marché entre 2025 et 2030.

 

L’arrivée sur le marché des véhicules autonomes devrait se faire de manière progressive, mais elle représente un véritable défi d’adaptation pour les services financiers, et notamment pour les compagnies d’assurance, qui devront très rapidement tenir compte de cette nouvelle réalité.

Le premier changement concerne la typologie et la fréquence des sinistres. En effet, les études actuarielles montrent que 93% des accidents de la route relèvent de la responsabilité du conducteur. De ce fait on peut en déduire que les routes plus fréquentées par des voitures autonomes seraient potentiellement beaucoup moins dangereuses. Le coût global de la sinistralité baisserait, avec pour conséquence une diminution du volume des primes encaissées par les assureurs. Cependant pris de façon unitaire, un accident entre voitures autonomes pourrait s’avérer beaucoup plus coûteux que ce que l’on connait aujourd’hui. Sans compter que malgré cette baisse de la sinistralité automobile, de nouveaux types de risques pourraient faire leur apparition : les voitures pourraient devenir les cibles de cyber attaques, de piratages de données, d’accidents de la route déclenchés à distance, de vols à distance, etc. Il sera donc nécessaire pour les assureurs de modifier radicalement leur évaluation des risques, afin de s’adapter à ce nouveau marché.

Autre changement majeur pour les assureurs, la détermination de la responsabilité engagée en cas de sinistre. Aujourd’hui, en cas d’accident, un conducteur est généralement fautif et son assurance couvre les dommages causés. Demain, le conducteur devient totalement (ou presque) passif. Un autre responsable devra être désigné mais il faudra le chercher parmi le constructeur, les équipementiers, l’éditeur du logiciel, les opérateurs de plateformes, voire les administrations chargées de l’aménagement du territoire. Si l’on fait abstraction des conséquences pour les victimes de ces accidents, la question de l’évaluation des responsabilités respectives de ces différents acteurs promet de longs et captivants débats entre experts et juristes de tous bords.

Enfin cette « révolution » pourrait changer drastiquement les habitudes de consommation des ménages. Aujourd’hui, une voiture roule en moyenne moins de 3% de son temps de vie. L’arrivée du véhicule autonome pourrait permettre de développer l’auto-partage, pour des raisons autant économiques, que sociologiques ou écologiques. Tous les acteurs de la chaîne de valeur risquent d’être impactés négativement par une contraction du parc automobile, et les assureurs n’échapperont pas à ce phénomène.

 

Les assureurs vont devoir s’adapter à cette nouvelle donne

La conjonction de ces différents facteurs fait que les assureurs se trouvent à la veille d’une mini-révolution ; ils devront donc s’adapter très rapidement s’ils ne veulent pas prendre le risque de « rater le virage » du véhicule autonome.

Il s’agira tout d’abord pour eux de revoir les contrats proposés à la clientèle et d’adapter les clauses, les garanties, le mode de tarification à de nouveaux usages, à de nouveaux risques et à une nouvelle sinistralité de par sa nature, sa fréquence, et les responsabilités qu’il faudra désormais savoir partager entre le propriétaire du véhicule (pourra-t-on encore dire le « conducteur » ?) et ceux qui lui auront fourni le véhicule.

Les assureurs vont devoir faire face à un certain nombre de challenges sur le plan commercial, d’autre part. L’assuré ne sera plus nécessairement un particulier, propriétaire de son véhicule, comme c’est le cas actuellement, mais de plus en plus souvent une entreprise : un loueur, un gestionnaire de flotte, voire le constructeur lui-même, qui pourrait intégrer l’assurance au même titre que l’entretien du véhicule dans son tarif de vente ou de location. La distribution des contrats d’assurance et les techniques de fidélisation seront donc fortement bouleversées. Quant aux réseaux de distribution, leur rôle et leur dimensionnement devront être ajustés. Les compagnies devront s’adapter à un nouveau marché, proposer des offres en B2B destinées à des entreprises qui exploiteront des flottes de véhicules. Ce sont du reste probablement ces entreprises (Uber, DiDi et autres Waymo) qui permettront d’accélérer le développement et de démocratiser le véhicule autonome.

Certains assureurs n’ont du reste pas attendu pour se positionner sur ce nouveau créneau. C’est le cas d’Allianz qui a commercialisé un contrat auto à tarif attractif (environ -25% sur la prime) pour les véhicules semi-autonomes afin de tenir compte de leur effet bénéfique sur la sinistralité. Axa a choisi une stratégie différente et a signé un partenariat exclusif avec Tesla qui propose à ses clients de Hong-Kong un package assurantiel sur-mesure lors de l’achat d’un véhicule. Root, une assurtech américaine spécialisée dans le « pay how you drive », a quant à elle lancé en 2017 un contrat spécifique pour les conducteurs de Tesla : ces derniers bénéficient de 10% de réduction sur leur prime, calculée en fonction du parcours effectué, lorsqu’ils activent l’autopilote.

On voit donc que la question n’est plus tant de savoir si, mais plutôt quand et comment les assureurs traditionnels vont devoir s’adapter pour ne pas courir le risque de se faire damer le pion sur leur cœur de métier par des assurtechs, plus agiles et plus promptes à déployer de nouveaux modèles assurantiels.

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