Quelle relation avec les start-ups pour les institutions financières ?

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Dans les services financiers, la mode est aux start-ups. Qui des grandes banques et groupes d’assurance n’a pas son initiative, son programme, ses mots doux pour le monde enchanté des start-ups ? Le secteur en a bien besoin, noyé qu’il est dans la grisaille de réglementations pharaoniques qui rendent les institutions financières toujours plus procédurières, qui laissent moins que jamais de la place à l’aléa ou à la prise de risque, et où la capacité à satisfaire les exigences du régulateur, qu’en d’autres temps on aurait appelée du zèle, est en train de devenir un avantage compétitif. Dans cet environnement désenchanté, l’irruption sur la planète économique de jeunes pousses, nées d’audacieux qui ne connaissent pas la peur et qui s’interdisent d’avoir la moindre procédure pour lancer en quelques mois des services qu’aucune autorité ne viendra contrôler, provoque envie et admiration. Qu’elle suscite des sentiments amusés comme ceux de l’aïeul qui badine avec la jeunesse arrogante ou de la méfiance envers ceux qui n’hésitent pas tels des guerriers barbares à proclamer qu’ils vont « transformer le monde », la sphère de l’innovation ne laisse plus personne indifférent.

 

Au-delà de la cure de jouvence et des fantasmes, la rencontre entre les grandes institutions financières et les start-ups est motivée par plusieurs enjeux : c’est d’abord une source de revenus potentiels non seulement pour les produits bancaires et d’assurance classiques, les financements et le conseil, mais aussi en gestion patrimoniale pour les entrepreneurs. Mais s’intéresser aux jeunes pousses du digital, c’est aussi un moyen de se donner une image d’entreprise innovante et dynamique auprès de la clientèle et du public. C’est enfin un axe tout naturel de la stratégie d’innovation que ce soit pour insuffler cette culture d’entrepreneuriat qui fait aujourd’hui tant défaut dans les services financiers ou pour détecter des futurs modèles de rupture.

 

Si les grandes institutions financières ont toutes enfourché le cheval du digital en plaçant la relation avec les start-ups au centre de leur communication, on est loin dans les banques de traiter ces jeunes pousses comme de simples clients entreprises. Avec leur très haut degré d’incertitude, leur dynamique disruptive susceptible à tout moment de « pivoter » d’un modèle vers un autre, les start-ups sont par essence imprévisibles et se prêtent en effet mal à l’appréciation du risque, étalon traditionnel de l’entrée en relation de l’entreprise avec la banque. Pour s’affranchir de la contrainte d’un modèle économique difficile à bâtir, les initiatives ont donc plutôt pris les formes plus partenariales en vogue dans les secteurs technologiques : laboratoires, incubateurs, accélérateurs, qui voient d’abord l’entrepreneur comme un acteur de l’innovation. On a vu les programmes se multiplier, parfois même au sein des mêmes groupes au risque de la contradiction. Dans la galaxie de l’innovation, il ne faut pas avoir peur du foisonnement… Pourtant comme dans tout ce qui est nouveau, il y a dans cette accumulation de projets un danger : la banalisation de l’offre, le mimétisme qui consiste à lancer un incubateur pour paraître « dans le coup », sans ambition ni positionnement clairs. On imagine la suite : le lieu d’hébergement offert en dessous du prix de marché, décoré de surcroît d’une ambiance « jeune et sympa » riche en couleurs et en espaces d’échanges – et qui séduira surtout les collaborateurs internes qui en sont privé ! se remplira vite pour peu qu’i soit bien placé. Mais cela fait-il un succès ? Car dans le monde des start-ups ce n’est pas le lieu qui compte, c’est « l’écosystème ». L’écosystème, c’est la connexion au monde informe des acteurs du digital, mais c’est aussi la valeur d’opportunité, c’est-à-dire l’accès à tout ce qui viendra fortifier le modèle fragile de la start-up : business angel, mentor, partenaire, client, avocat, expert technique… Et en la matière les institutions financières n’ont pas forcément à rougir car elles ont des choses à offrir, à condition de savoir bien se positionner dans un monde qu’elles appréhendent mal.

 

Il y a donc quelques recettes à prendre en compte pour développer une relation constructive avec les start-ups : d’abord choisir qui cibler et savoir être sélectif. Le monde des jeunes entreprises est aussi divers que la population des individus sur Terre. Et l’auberge à tout faire est le pire concept qui soit. Que ce soit pour identifier des technologies de rupture, développer des solutions nouvelles de banque ou d’assurance, ou pour favoriser l’échange avec des entreprises clientes, il faut donner du sens et de l’ambition au choix des jeunes pousses avec lesquelles travailler. Ensuite il importe de comprendre ce qu’attendent les entreprises innovantes et de savoir répondre à leurs besoins. L’hébergement et les services, c’est bien, des échanges avec l’institution c’est mieux. Les grandes banques et assureurs ont d’énormes atouts à faire valoir : ils connaissent leurs métiers mieux que personne. Et si certaines start-ups rêvent peut-être « d’uberiser » les banques, beaucoup comprennent l’intérêt qu’il y a à travailler en partenariat. Enfin il faut oser l’écosystème, ce tissu de relations peu formalisé et ouvert qui s’enrichit des échanges mutuels et qui peut donner tout son sens à la collaboration entre grande entreprise et start-ups. Bâtir un écosystème, c’est d’abord s’entourer de partenaires qui apporteront des services, organiser des événements qui feront foisonner l’esprit d’innovation mais c’est aussi connecter très largement les jeunes entreprises avec les collaborateurs internes pour apporter aux entrepreneurs leur expérience, leurs réseaux et leurs conseils. Car contre toute attente, ce que valorisent le plus les jeunes « start-uppers » à l’heure de la communication digitale c’est d’abord la richesse de la relation humaine…

 

Les institutions financières ont donc beaucoup à apprendre sur le monde de l’innovation et il est naturel qu’elles prennent des initiatives en ce sens. Mais si l’une d’elle a un vieil entrepôt désaffecté à reconvertir en garage à start-ups, on lui conseillera qu’elle prenne un peu de temps (pas trop !) pour réfléchir à ce qu’elle veut en faire…

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