Les banques peuvent-elles durablement supporter les surcoûts induits par les réformes réglementaires ?

 

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La réglementation est devenue le principal poste d’investissement pour les banques

 

Depuis plus d’une dizaine d’années, les régulateurs ont été particulièrement prolixes et créatifs pour produire de nouvelles normes et règles prudentielles : CRD IV, SEPA, IFRS, FATCA, BCBS 239, CRA, EMIR, AQR, IFRS, MiFID… Derrière ces acronymes barbares se cachent les nouveaux cauchemars des dirigeants du monde bancaire. Chaque année apporte son nouveau lot de réformes et il y a fort à parier que les régulateurs ne vont pas s’arrêter en si bon chemin.

 

L’intention de départ est certes louable, puisque ces réformes visent généralement à renforcer la solidité des établissements bancaires et à endiguer le risque d’une défaillance voire d’une crise systémique. Mais force est de constater que l’accumulation de ces réglementations constitue une charge de plus en plus difficile à supporter pour les banques, au point que ces dernières consacrent désormais une part très significative de leur capacité d’investissement aux programmes dits « réglementaires », et sont bien souvent contraintes d’arbitrer ou de différer d’autres projets, davantage tournés vers le développement des produits et services, l’amélioration de l’efficacité opérationnelle ou encore l’innovation. A titre illustratif BNP Paribas a évalué à 500 M€ l’impact sur son résultat des nouvelles taxes et obligations réglementaires qui lui ont été imposées pour la seule année 2016. La réglementation pèse durablement sur le RoE des entreprises du secteur, qui est passé de plus de 13% en moyenne au début des années 2000 à environ 8% aujourd’hui.

 

Nombreux sont ceux qui plaident en faveur d’une accalmie et d’un ralentissement du rythme des réformes, mais en attendant qu’ils soient entendus et que la pression ne se relâche, les banques continuent à investir massivement sur leurs systèmes d’information et à renforcer les effectifs des fonctions de contrôle et de conformité.

 

Les banques sont-elles condamnées à être asphyxiées, submergées par les vagues successives de réglementation ?

S’il est vrai que « réglementation » rime avec « obligation », les banques doivent-elles se résoudre à consacrer l’essentiel de leurs ressources à des projets dont les retombées positives sont parfois difficiles à entrevoir ? A minima, il nous semble possible d’améliorer le rapport bénéfices / coûts de ces projets réglementaires e respectant quelques principes dans la manière de les aborder.

 

Principe #1 : éviter d’investir trop fortement ou trop précipitamment

Avant de se jeter à corps perdu dans l’action, il peut être utile de prendre le temps de la réflexion pour bien analyser et comprendre les attentes du régulateur. Ce temps de réflexion peut également être mis à profit pour bénéficier des travaux et des retours d’expérience d’autres établissements bancaires. Dans le cas de BCBS 239, onze principes très généraux ont été édictés en janvier 2013 par le Comité de Bâle visant à renforcer la gouvernance, améliorer la fiabilité des données et la qualité des reportings dans le domaine des risques, pour un début de mise en application en 2016. Ces exigences laissaient toutefois une assez grande latitude à chaque banque pour se constituer un plan de mise en conformité dont la cible et la trajectoire étaient assez largement « à sa main ».

 

Principe #2 : rechercher les éventuels bénéfices financiers et métier

La mise en conformité peut induire de nombreux bénéfices (y compris financiers) pour peu que l’on se donne la peine de les chercher et de les concrétiser. A titre illustratif, la fiabilisation des données de risques peut permettre une diminution du montant des provisions, ou encore une meilleure prise en compte du coût du risque et des fonds propres dans la tarification applicable au client. Les enjeux portent également sur le coût de capital qui sera imposé par le régulateur à l’établissement bancaire, car les régulateurs ont clairement indiqué qu’ils traduiraient dans les exigences de ratios financiers la qualité ou non qualité de processus de conformité.

 

Principe #3 : mutualiser les investissements

Les efforts sont souvent démultipliés au sein d’organisations bancaires fortement « silotées » (métiers, fonctions centrales, entités filialisées…). Une coopération accrue entre les métiers, voire la recherche de synergies avec d’autres banques peuvent être sources d’économies substantielles. En 2014 au Royaume-Uni, six grandes banques (dont Barclays, JP Morgan Chase, Goldman Sachs, State Street…) ont ainsi décidé de joindre leurs efforts pour constituer une plateforme commune en charge du KYC (Clarient Entity Hub) ; près d’une centaine de « clients » ont depuis choisi de rejoindre cette plateforme.

 

Principe #4 : en profiter pour « remettre de l’ordre »

La mise en œuvre d’une réforme réglementaire peut impacter lourdement le système d’information, l’organisation ou encore les processus. Plutôt que de procéder à un énième replâtrage, cela peut-être l’opportunité de rationaliser, de simplifier, de mener des travaux qui auraient été jusque-là jugés non-prioritaires en procédant par exemple à une réurbanisation et une rationalisation des systèmes concernés (ce qui, au passage, doit se traduire, à terme, par une diminution des coûts de maintenance).

 

Principe #5 : mettre en œuvre une gestion de programme efficiente

Si l’ampleur des transformations à mener le justifie (et c’est souvent le cas), la banque aura intérêt à structurer sa démarche de mise en conformité et à mettre en place un dispositif de gestion de programme ad hoc : gouvernance, programme office, équipes dédiées… Ce dispositif de pilotage et d’animation doit être totalement transversal (de manière à pouvoir jouer un véritable rôle de tour de contrôle pour le compte de la Direction Générale) et aussi léger que possible (les moyens d’action devant se situer au plus proche du terrain).

 

Principe #6 : impliquer les métiers

« La conformité est une chose trop grave pour la confier à des conformitologues ». Au-delà de la règle elle-même, c’est l’esprit de la règle qui doit être compris et intégré par les opérationnels. Les efforts à déployer pour contrôler et fiabiliser les informations de synthèse seront d’autant plus faibles que les opérationnels auront été responsabilisés sur la qualité et la complétude des données qu’ils manipulent quotidiennement. Il est donc essentiel que les métiers soient parties prenantes dans les programmes de conformité.

 

La mise en application de ces quelques principes n’exonère pas la banque de consentir des investissements importants pour satisfaire aux exigences du régulateur, mais elle permet à la fois d’en limiter l’ampleur et d’en maximiser les bénéfices. Dans une période où les marges de manœuvre financières des établissements bancaires tendent à se réduire, ce « petit quelque chose » peut faire toute la différence : en grand bassin, il n’y a guère que quelques centimètres qui séparent la flottaison de la noyade.

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