Les agrégateurs sont-ils l’avenir de la banque de détail ?

agregateur

 

Pendant fort longtemps, la relation client était chose naturelle et aisée pour le banquier : le client avait une question financière à traiter, il franchissait la porte de son agence, où il était chaleureusement accueilli par la personne du guichet, par son conseiller, voire (insigne honneur, réservé aux plus méritants d’entre eux) par le Directeur de l’Agence. Déposer des chèques (vous savez, ce bout de papier que l’on utilisait au siècle dernier pour s’acquitter d’une dette), retirer des espèces, passer un ordre de bourse… Les occasions ne manquaient pas et il était facile pour le banquier de s’enquérir des projets de son client et de lui proposer ses services. Mais voilà, la « révolution digitale » a balayé tout cela ! Tout d’abord le client s’est vu proposer quelques automates situés à l’extérieur de l’agence, puis la possibilité d’appeler un centre de relation clientèle pour effectuer des opérations basiques par téléphone, et comme cela n’était pas suffisant, on lui a finalement proposé toute la panoplie du « bank-it-yourself » via internet, à la maison ou au bureau dans un premier temps, puis au restaurant ou dans la rue grâce au smartphone auquel il est désormais tellement attaché…

 

Mais la banque de détail n’est pas un univers de consommation totalement comme les autres. Là où les grandes marques de l’alimentaire, des cosmétiques ou de la mode s’adressent à leurs clients via les médias à grand renfort de slogans ciblés et affinitaires, et parviennent à fidéliser et à créer le besoin en proposant de nouveaux produits ou améliorant la texture ou le packaging, les banquiers eux n’ont pas la même capacité à susciter l’intérêt ou l’envie chez leurs clients (le jour où l’on verra des clients faire la queue devant une agence bancaire pour être les premiers à souscrire lors de la sortie d’un nouveau produit d’épargne n’est pas encore arrivé !).

 

Avec le digital, la relation entre le client et la banque devient de plus en plus désincarnée, utilitariste, transactionnelle, et les produits et services bancaires relégués au rang de simples commodités. Certains l’ont bien compris et ont su en profiter pour s’immiscer dans le jeu : courtiers, fintechs en tout genre en ont profité pour s’intégrer sur les segments les plus profitables de la chaîne de valeur, laissant aux banquiers le devoir de proposer à leurs clients un service complet, universel (et bien souvent considéré par ces derniers comme devant être gratuit, quand bien même il nécessite des infrastructures lourdes et coûteuses).

 

Ultime outrage, avec l’émergence de agrégateurs, le client n’a désormais même plus besoin (du moins en apparence) de passer par sa banque pour suivre son compte et effectuer des transactions. La directive européenne sur les services de paiement (DSP2) qui entrera en application en 2018 oblige les établissements bancaires à donner librement accès à tout opérateur qui serait mandaté par un client à l’ensemble de ses données bancaires et aux fonctions basiques d’émission de paiement. Ce faisant, le régulateur vient de faire sauter l’un des derniers remparts derrière lequel le banquier pouvait encore s’abriter pour conserver un semblant de relation avec son client. Avec les agrégateurs, le client n’a quasiment plus de raison de se soucier de savoir dans quelle banque son compte a été ouvert. Il ne connaîtra plus que son interface Bankin’ ou Linxo, au travers de laquelle il aura une vision agrégée de ses avoirs financiers, de ses habitudes de consommation, des offres promotionnelles dont il peut bénéficier sur tel produit ou auprès de tel distributeur…

 

Ainsi désintermédiées et privées de relation client, les banques seraient inexorablement vouées à subir, et donc potentiellement à disparaître. L’agrégateur se trouve dans une situation totalement privilégiée pour orienter le client vers un « partenaire », pour l’aider à choisir une offre d’épargne, de financement ou d’assurance dans une logique de « one stop shoping ».

 

La plupart des banques l’ont bien compris et ont vu poindre le danger. Elles ont décidé de se lancer à leur tour dans la bataille. Elles le font seules (cas du rachat de Fiduceo par Boursorama en 2015, solution adoptée depuis également par la Société Générale et le Crédit du Nord pour créer leurs agrégateurs) ou en s’appuyant sur des plateformes technologiques disponibles en marque blanche (HSBC, Crédit Mutuel Arkéa, BforBank ont par exemple choisi d’utiliser Linxo). Certains assureurs en ont quant à eux profité pour s’inviter à la fête et étendre le champ de leur relation client au-delà de la souscription et de la gestion de sinistres ; c’est le cas de la MAIF qui a annoncé en juin le lancement de Nestor, une plateforme d’agrégation qui proposera à ses clients un vaste choix de services financiers issus de partenaires dûment sélectionnés, ou encore de SwissLife (LaFinBox).

 

Bien malin qui peut prédire quels seront les grands vainqueurs (et les principaux perdants) de la guerre qui s’annonce. On peut toutefois parier que ceux qui tireront leur épingle du jeu sont ceux qui auront su :

  • Jouer en anticipation, faire les bons choix stratégiques et technologiques suffisamment tôt,
  • Proposer des services à valeur ajoutée : agrégation et utilisation des données financières, analyse et conseil, réalisation de transactions, push d’offres, gestion de programmes de fidélisation multi-enseignes…
  • Travailler en architecture ouverte et établir des passerelles avec différents univers de la vie courante : services financiers, protection des biens et des personnes, distributeurs, fournisseurs d’information et de contenu
  • Rester agile et « pivoter » autant de fois que cela s’avérera nécessaire

 

Tout l’enjeu pour les banques est, via l’agrégation de contenu, de retrouver la position centrale qui doit être la leur dans la vie quotidienne du client et de rétablir une forme de proximité (fut-elle digitale) avec lui.

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