Tigre ou dragon ?

 

Si l’on se fie uniquement à la couleur, difficile de dire à quel animal on a là véritablement affaire : dragon cracheur de flammes ou tigre en origami ? L’arrivée d’Orange Bank est-elle une véritable menace pour les banques traditionnelles ?

Avec la promesse d’une offre innovante, simple, 100% mobile et quasi gratuite, Orange Bank apporte-t-elle quelque chose de plus et sera-t-elle en mesure de « disrupter » (pour reprendre un néologisme souvent employé) l’industrie bancaire ? Nous avons décidé d’observer l’animal de plus près pour évaluer sa réelle dangerosité et tester par nous même les services de cette néobanque.

 

« Vous n’aurez jamais une deuxième chance de faire une bonne première impression… »

 

Tout commence par l’installation de l’application Orange Bank, aisément récupérable sur les plateformes de téléchargement : le processus d’ouverture de compte semble à première vue simple et rapide.

Malheureusement, très vite, les choses se gâtent… A plusieurs reprises, l’écran se fige : impossible de valider la demande d’ouverture de compte. Et le parcours client tourne au parcours du combattant, pour ne pas dire au cauchemar : accumulation de bugs et de lenteurs sur l’application, accueil en agence pour le moins « flottant », délais de traitement par le back-office, difficultés pour effectuer le versement initial (qui nécessite un paiement par carte bancaire), échanges par chat interminables avec de longues minutes d’attente entre chaque message, moyens de paiement qui n’arrivent pas à destination… Quant à, Djingo, l’assistant virtuel disponible H24, il se déclare incompétent sur la plupart des sujets (expliquant, pour se justifier, qu’il est encore en phase d’apprentissage).

N’importe quel client sensé aurait depuis longtemps claqué la porte (virtuelle) d’une telle « banque ».

 

Un départ en trombe… Mais un départ manqué !

 

Au vu des problèmes rencontrés et du tollé suscité sur les réseaux sociaux, on se dit qu’une phase de rodage sera sans doute nécessaire. Sans doute faut-il mettre tout cela sur le compte de l’engouement suscité par Orange Bank et des 30 000 demandes d’ouverture de compte enregistrées en à peine 10 jours. Orange Bank est-elle victime de son succès ? Cela donne malgré tout l’impression d’une énorme impréparation, particulièrement surprenante compte tenu des reports successifs et du tohu-bohu médiatique qui ont précédé le lancement de l’offre.

Au risque de paraître tautologique, dans le concept de « banque digitale » il est a priori question de « banque » et de « digital ».

Or en matière « bancaire », l’offre déployée par Orange Bank est tellement minimaliste que le client peut difficilement se passer des services d’une autre banque pour satisfaire l’ensemble de ses besoins en relation avec la sphère financière. Il est certain que cette offre sera élargie dans les prochains mois mais on est, à ce stade, à mille lieues de ce que les banques, fussent-elles digitales, sont en mesure de proposer à leurs clients. Qui plus est, Orange risque de découvrir bien vite que la tenue de compte et les moyens de paiement induisent des problèmes de conformité, de fraude et de risque. Mais au-delà des questions liées à technique bancaire, la banque est avant tout une industrie de services, fortement concurrentielle, où la différenciation repose de plus en plus sur la capacité à délivrer de manière industrielle un service fiable et de qualité, et à gérer l’ensemble des dimensions de la relation client pour procurer à ce dernier une expérience positive…

Pour ce qui est du « digital », là encore, Orange Bank n’est pas vraiment au rendez-vous : l’accès au compte ne peut se faire que sur smartphone ou tablette et il n’est pas possible de consulter ses comptes depuis un ordinateur (pas vraiment « ATAWAD » tout cela), la navigation dans l’application (pourtant très dépouillée compte tenu du caractère minimaliste de l’offre de services) n’est pas vraiment fluide ni intuitive (bonne chance à celui qui souhaite commander un chéquier ou imprimer un RIB à partir de son smartphone)… On a plutôt l’impression que les concepteurs ont cherché à agréger quelques fonctionnalités certes intéressantes (à défaut d’être véritablement innovantes) comme l’utilisation de la biométrie pour se connecter à l’application via Touch ID, le chatbot, le paiement par SMS ou la possibilité de suspendre temporairement sa carte bancaire… Mais le compte n’y est pas : le « digital-banking » ne saurait se résumer à une simple compilation de « gadgets pour smartphone ». Il doit être un moyen de revisiter et de simplifier les parcours clients, de proposer de nouveaux usages dans une logique omnicanale.

 

Orange est-elle en capacité de réussir son pari ?

 

Difficile à ce stade de prédire si Orange Bank parviendra à conquérir 2 millions de clients et à être rentable d’ici 2021. Rappelons simplement qu’après une douzaine d’années d’existence, avec une offre bancaire complète et des moyens marketing considérables, Boursorama Banque n’a recruté qu’un million de clients et la rentabilité de son modèle fait toujours débat.

Dans ces conditions, Orange Bank représente-t-elle une véritable menace pour les banques traditionnelles ? Au-delà des effets d’annonce, de l’engouement que suscite un lancement aussi médiatique, on voit bien que les banques traditionnelles sont en mesure de riposter (EKO au Crédit Agricole, Avantoo pour le CM-CIC, Hello et Nickel chez BNP Paribas…). La bataille se jouera essentiellement sur la capacité des uns et des autres à délivrer un service de qualité, à déployer des innovations utiles, qui apportent un véritable « plus » en termes d’usage et d’expérience client, à faire jouer pleinement les synergies entre les différents canaux de relation client, y compris les canaux de proximité, réseaux d’agences ou de partenaires (Points Verts du Crédit Agricole, ou buralistes pour BNP Paribas…).

En revanche, l’arrivée de ce nouvel acteur low-cost et adepte de la gratuité va sans nul doute accentuer la pression sur la tarification des services bancaires, ce qui n’est certainement pas une bonne nouvelle pour la profession dans son ensemble.

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