Au secours, mon conseiller bancaire est un robot !

 

Des banques de détail à la recherche d’un nouveau souffle

 

Il n’aura échappé à personne que l’univers de la banque de détail en France est en pleine effervescence et en rapide mutation. Les attentes des clients évoluent, la fréquentation des agences est en baisse constante (le taux de clients qui passent une fois par mois en agence est passé de 41% à environ 5% au cours des 10 dernières années). Dans un marché saturé (avec près de 8 produits détenus en moyenne par client, le taux d’équipement des clients en produits financiers se situe parmi les plus élevés en Europe), la pression concurrentielle est plus forte que jamais, attisée par l’émergence des fintechs et les ambitions de conquête affichées par les GAFAMs et autres opérateurs téléphoniques…

 

Les revenus des banques de détail françaises ne progressent plus, voire régressent. L’heure est à la recherche de pistes d’économies et les fermetures d’agences bancaires annoncées ne suffiront pas à contrer la baisse de rentabilité qui s’annonce. En effet, si les clients se détournent de leur agence bancaire, moins de la moitié d’entre eux se déclarent prêts à y renoncer définitivement et à opter pour une banque en ligne comme banque principale. 90% des ventes sont encore aujourd’hui réalisées en agence et aucune grande banque ne s’est hasardée à fermer massivement des agences ; la plupart se contentent de réduire la voilure et prévoient de fermer 10 à 20% de leurs points de vente à horizon 2020.

 

Mais au-delà du nombre des agences, c’est également le format de ces dernières et le nombre de collaborateurs qu’elles hébergent que les banques cherchent désormais à optimiser. Les initiatives fleurissent aux quatre coins de la planète pour faire émerger des concepts d’agence innovants. A titre d’exemple, Bank of America expérimente depuis quelques semaines des agences « sans conseiller » : outre les traditionnels automates bancaires utilisables pour effectuer des transactions, le client de ces agences « new age » peut engager une conversation avec un robot qui répondra à la plupart de ses questions sur la banque au quotidien, l’épargne ou le crédit, tout en ayant la possibilité à tout moment d’accéder par visioconférence à un conseiller « en chair et en os » pour des besoins plus sophistiqués.

 

La transformation digitale est (elle aussi) en marche

 

Depuis plusieurs années, les assistants ou coachs financiers digitaux se sont installés sur nos smartphones et tablettes. Ils connaissent nos habitudes de consommation, l’état de nos finances et peuvent même s’adapter à notre humeur. Disponibles à toute heure du jour ou de la nuit, dotés d’une patience et d’une bienveillance sans limite à notre égard, ils nous prodiguent leurs conseils en temps réel et de manière contextualisée (voire géolocalisée) pour nous aider à mieux dépenser ou à mieux épargner. Quoi de plus facile pour eux que de nous proposer le produit financier dont nous avons besoin au moment le plus opportun ? L’intelligence artificielle est sortie des laboratoires pour prendre place dans notre quotidien. Elle s’immisce dans l’univers bancaire pour proposer des services de conseil en gestion à moindre coût (robo-advisors) ou encore pour enrichir l’expérience client, notamment au travers de « chatbots » qui sont désormais capables de répondre de manière totalement automatisée à plus de 80% des demandes client. Traitement des emails, conversations via messagerie instantanée, reconnaissance vocale, les champs d’application sont déjà vastes et la technologie progresse en suivant la loi de Moore, ce qui laisse augurer des possibilités quasi illimitées. L’IA a non seulement la capacité de révolutionner la relation entre le client et sa banque (accessibilité, disponibilité, fiabilité…), mais elle va également bouleverser les équilibres économiques en abaissant très significativement les coûts opérationnels et transactionnels, ou en permettant d’analyser des masses de données et de détecter (puis d’exploiter) la moindre opportunité commerciale bien mieux que ne le ferait un conseiller à qui on confie la gestion d’un portefeuille de plusieurs centaines de clients.

 

Les robots sont-ils appelés à remplacer les conseillers en agence ?

 

La profession de conseiller bancaire n’a pas pour autant vocation à disparaître. Tout d’abord, ces technologies restent aujourd’hui largement perfectibles, et les banques les cantonnent encore souvent à des domaines simples, voire « non-bancaires » : la Société Générale, par exemple, utilise un chatbot sur sa page Facebook dédiée aux fans de rugby… Par ailleurs, l’interaction directe avec le client restera pour quelques temps encore un incontournable pour les ventes « complexes », qui nécessitent de développer une argumentation totalement personnalisée en réponse aux questions et réticences éventuelles du client, et de lui procurer une forme de réassurance au travers de la confiance que le conseiller a été capable d’établir avec son client.

 

Cependant le métier est appelé à évoluer. Soulagé d’une grande part des tâches chronophages qui lui incombent aujourd’hui, le conseiller bancaire de demain devra être beaucoup plus expert, davantage à l’écoute et en empathie avec son client, capable d’interagir de manière fluide et percutante avec ce dernier via des canaux digitaux (téléphone, messagerie électronique, visioconférence…). Cette évolution qualitative s’accompagnera sans doute également d’une diminution progressive des effectifs présents au sein des réseaux bancaires. Il est peu probable que les banques lancent des plans de licenciements dans les années à venir, mais on peut raisonnablement tabler sur le fait que dans les 5 à 10 ans à venir, les départs en retraite des baby-boomers ne seront que partiellement compensés par des embauches nouvelles.

 

Après avoir conquis le monde de l’industrie, les robots vont donc sans doute révolutionner l’univers des services financiers. Faut-il pour autant s’en émouvoir ? Les services bancaires de base ne sont plus vendus ; ils s’achètent désormais… qui plus est, chez les opérateurs de télécommunications (Orange Bank), chez les buralistes (Nickel), ou encore dans les rayons de supermarché (C-Zam) entre les petits pois et les couches-culottes. Les besoins et habitudes de consommation des clients évoluent, l’environnement concurrentiel change : il est donc naturel que la banque se transforme également, que le conseiller se recentre sur des tâches à plus forte valeur ajoutée et délègue à la machine tout ce qu’elle est capable de faire (à condition naturellement qu’elle le fasse bien).

 

Au-delà des enjeux de productivité et de performance, la véritable question sera de savoir si le client va adhérer et trouver son compte dans ce nouveau mode de relation ? Le remplacement de l’humain par la machine constitue-t-il une véritable avancée ou bien, comme le disait Jacques Prévert à propos du progrès, est-ce « trop robot pour être vrai ! » ?

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